La ville de New York a déposé un recours, le 9 janvier 2018, contre cinq entreprises multinationales productrices de combustibles fossiles : BP, Chevron, Conocophillips, Exxonmobil, et Royal Dutch Shell. La ville entend faire reconnaître la responsabilité de ces entreprises dans le changement climatique, celui-ci étant à l’origine des dommages qu’elle subit. Elle choisit d’agir devant la Cour fédérale de District du District sud de New York.
Le requérant se fonde sur la notion de nuisance publique et privée : les entreprises auraient violé de nombreux droits dont le public est titulaire et seraient responsables de nuisances privées causant des dommages aux biens. La ville argue du fait qu’il existe une causalité matérielle entre les actions des entreprises et les conséquences locales du réchauffement climatique. La ville sollicite l’obtention de dommages et intérêts pour rembourser les frais qu’elle a dû et doit engager pour prévenir les effets du changement climatique ainsi qu’une injonction réparatrice fondée sur l’equity.
Le 23 février 2018, les défendeurs ont déposé une requête pour que soit rejetée la demande de la ville. Ils considèrent que le problème climatique est un problème global qui ne peut être imputé aux cinq multinationales. Leur demande a été appuyée par un rapport amicus curiae soumis par 15 procureurs d’autres États. Ces derniers estiment qu’accepter de traiter ce litige ouvrirait la porte à d’autres poursuites qui pourraient être dirigées contre leur État. Les défenseurs et les rédacteurs des amicus curiae s’entendent sur le fait qu’en acceptant de traiter le litige, le juge méconnaîtrait le principe de la séparation des pouvoirs : comme dans bien d’autres litiges, est ici soulevée le problème de la « question politique ».
Le 19 juillet 2018 la Cour a fait droit à la demande des entreprises et a débouté la ville de New York de son action. Le juge John F. Keenan considère que la requête devrait se fonder sur les lois fédérales et non les lois de l’État de New York invoquées par les requérants. Il estime que le litige a des conséquences interétatiques et internationales mais aussi transfrontalières, ce qui nécessite une réponse uniforme mais aussi une prudence judiciaire en raison de la séparation des pouvoirs et des conséquences sur la politique étrangère. De plus, le juge estime que les requérants ont soulevé des questions réglementées par le Clean Air Act. Ainsi, le litige relève de la loi fédérale.
L’État de New York a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale, le 26 juillet 2018. Il fait valoir que le principe d’inapplicabilité extraterritoriale reviendrait à exonérer les entreprises avec un siège ou des activités à l’étranger alors que leurs actions sont susceptibles de créer un dommage sur leur territoire. L’État ajoute qu’en l’espèce, les dommages mentionnés sont localisés dans l’État de New York, ce qui écarte selon eux l’argumentaire de l’extraterritorialité.
Le 1 avril 2021, la Cour d’appel (Second Circuit Court of Appeals) a rejeté l’appel interjeté par la ville de New York et a confirmé la décision du premier juge. La Cour rappelle que la loi fédérale remplace la loi de la ville-État car le litige porte sur des émissions transfrontalières et ainsi soulève des intérêts fédéraux. Elle confirme alors aussi la décision de première instance en appliquant la théorie du displacement, dès lors que le Congrès a légiféré sur la question soulevée, les juges ne sont plus compétents pour statuer en la matière. Le Clean Air Act réglementant les émissions de gaz dans l’atmosphère, adopté par le Congrès, a neutralisé la compétence des États mais aussi des juges. En raison de la théorie du displacement, dès lors que le Congrès a légiféré sur la question soulevée, les juges ne sont plus compétents pour statuer en la matière. De plus, le juge considère que doit être opéré, en l’espèce, une balance entre la prévention du réchauffement climatique et la production énergétique, la croissance économique, la politique étrangère et la sécurité nationale et que ce sujet doit être traité fédéralement. La Cour d’appel du second District considère que tenir responsable les entreprises de leurs activités étrangères porterait atteinte à la séparation des pouvoirs car il s’agit de questions politiques.
Romane Noubel