Urgenda c. Pays-Bas (2019)

L’ONG Urgenda et 886 citoyens engagent une action en justice contre l’État néerlandais arguant de l’insuffisance de son action climatique. Les requérants demandent à l’État de rehausser le niveau d’ambition de son engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020 à la hauteur d’au moins 25% (contre 20%) par rapport à 1990. La question est de savoir si, en refusant d’augmenter ce dernier, l’État agit illégalement et s’il peut être contraint à relever l’ambition de sa politique climatique par un tribunal. 

L’association invoque l’article 21 de la Constitution néerlandaise qui impose une obligation de protéger l’environnement, ainsi que les articles du Code civil 6:162 sur la responsabilité civile et 5:37 sur les nuisances privées. Les requérants considèrent qu’en découle un principe implicite de duty of care. Ils fondent aussi leur demande sur les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, protégeant respectivement le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que sur d’autres engagements internationaux de l’État comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. D’après les requérants, ces différents textes créent une obligation positive d’agir pour l’État. Ils arguent qu’au regard du consensus scientifique international, l’objectif actuel de 20% posé par le Gouvernement ne respecte pas son duty of care et menace le climat actuel. 

Le 24 juin 2015, la Cour de district de La Haye rend une première décision obligeant l’État, sur le fondement du duty of care qui lui incombe, à augmenter la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre à 25%. Le 10 septembre 2018, la Cour d’appel de La Haye confirme le jugement rendu en première instance. Le 20 décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas rend le jugement final, validant l’interprétation effectuée par la Cour d’appel. 

Dès 2015, la Cour de district de La Haye a admis l’intérêt à agir de l’association fondée sur le droit néerlandais. En revanche, en se fondant sur les conditions de recevabilité de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’Homme, elle a jugé que l’association n’avait pas d’intérêt à invoquer ces articles comme fondement de l’illégalité de l’action de l’État.  Elle n’a pas non plus reconnu l’intérêt à agir des 886 citoyens, jugeant ne pas avoir assez d’informations à cet effet. La Cour a considéré que les engagements internationaux pris par l’État définissaient une obligation de réduire les émissions à un taux n’entraînant pas une augmentation moyenne des températures de plus de 2°C. Toutefois, elle a considéré que ces engagements de l’État n’avaient pas d’effet direct envers les citoyens, ils ne pouvaient donc pas s’en prévaloir. En revanche, elle a pris en compte le consensus scientifique international pour déterminer si l’État avait failli à son duty of care. La Cour a décidé qu’au regard de la gravité des conséquences du changement climatique l’État avait un duty of care qui entraînait l’obligation de prendre des mesures de réduction. La Cour a enjoint à l’État de réduire ses émissions à hauteur d’au moins 25% pour 2020. 

En 2018, la Cour d’appel de La Haye a précisé que l’État avait agi illégalement, en se fondant sur les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, consacrant un devoir de protection qui découle des obligations positives d’agir pour l’État afin de prévenir de futures violations des droits à la vie et  au respect de la vie privée et familiale. Face à la menace réelle du changement climatique, la Cour d’appel a confirmé la décision de première instance et validé l’objectif de réduction de 25% des émissions, le considérant comme un minimum. 

Dans une décision du 12 décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a rejeté le pourvoi de l’État. Elle a confirmé la décision de la Cour d’appel. Elle a précisé qu’il revient à l’État de décider des mesures à prendre pour atteindre cet objectif, les juges ne pouvant en décider pour lui.

Si la décision de la Cour suprême est intervenue tardivement, l’État a depuis lors investi plus de 3 milliards d’euros dans le but d’atteindre l’objectif fixé par les juges : les réductions d’émissions ont finalement atteint 24,5% depuis 1990 fin 2020. Il est toutefois important de prendre en compte le rôle de la pandémie dans cette évolution. 

Romane Noubel