Neubauer, et al. c. Allemagne (2021)

Les requérants avaient déjà saisi la justice allemande, avec un jugement rendu par le tribunal administratif de Berlin le 31 octobre 2019, pour demander l’exécution forcée de l’objectif climatique de 2020. Après un jugement prudent de la part du tribunal, les requérants ont décidé, plutôt que de faire appel, de contester la constitutionnalité de la nouvelle loi climatique de 2019 qui fixe les objectifs de réduction des émissions de GES pour 2030. 

Les requérants considèrent que la loi climat adoptée en 2019 ne permet pas d’introduire un cadre suffisant pour respecter l’objectif de l’Accord de Paris de limiter l’augmentation des températures à 1,5°C ou nettement en dessous de 2°C. Ces derniers fondent leurs recours sur les droits fondamentaux à l’article 2 alinéa 2 et article 14 alinéa 1 de la Loi Fondamentale consacrant respectivement un droit à la vie et à l’intégrité physique et un droit à la propriété privée. Ils invoquent aussi l’article 20a de la Loi Fondamentale qui pose un objectif constitutionnel de lutte contre le changement climatique. 

Le recours connaît un succès partiel.

La Cour Constitutionnelle fédérale, dans sa décision du 24 mars 2021, juge que des dispositions de la loi du 12 décembre 2019 relative à la lutte contre le changement climatique ne sont pas conformes aux droits fondamentaux. 

Dans sa décision, elle ne considère pas l’objectif posé par le législateur pour 2030 comme insuffisant. En raison de la marge d’action dont dispose le législateur, les droits fondamentaux protégés par les articles 2 alinéa 2 et 14 alinéa 1 de la Loi Fondamentale n’ont pas été violés. Mais elle considère qu’il est porté atteinte aux libertés des générations futures en raison de la charge future disproportionnée que cette politique fait peser sur elles. D’après la Cour, les volumes d’émission prévus jusqu’en 2030 réduisent fortement la possibilité d’émettre des émissions de GES après 2030 menaçant de limiter alors toutes les libertés garanties par la constitution. Le législateur aurait dû prendre des mesures pour s’assurer que la transition vers une neutralité carbone respecte les libertés des personnes. La Cour rappelle le principe de proportionnalité de la charge à porter : une génération ne doit pas être autorisée à consommer une large partie du budget carbone national, ne supportant qu’une légère part d’effort de réduction des émissions et laissant aux générations futures un lourd fardeau, les privant d’une grande partie de leur liberté. Elle conclut que les dispositions contestées ne satisfont pas à l’exigence découlant du principe de proportionnalité, selon laquelle la réduction des émissions de CO2 imposée par Constitution à l’article 20a de la Loi Fondamentale en vue de réaliser la neutralité climatique doit avoir lieu avec prévoyance et être répartie dans le temps d’une manière qui ménage les droits fondamentaux. 

En revanche, au regard de l’objectif de -55% d’émissions pour 2030 et des budgets carbone décidés par la loi, la Cour se réfère à la marge de manœuvre du législateur. Considérant les incertitudes entourant le budget alloué, elle ne juge pas possible de conclure à une violation de l’article 20a de la Loi Fondamentale, LF qui impose à l’État de lutter contre le changement climatique et vise à la réalisation de la neutralité climatique.

Enfin, la Cour demande au législateur de préciser des objectifs de réduction postérieure à 2030 au plus tard en 2022, au lieu d’une première planification en 2025. Le législateur est tenu de définir lui-même le montant des volumes des émissions annuelles à fixer pour les périodes postérieures à 2030, ou bien d’imposer des exigences plus précises pour la détermination concrète de ces volumes par le pouvoir réglementaire.

La Cour rappelle et précise que le fait que le changement climatique est un problème mondial ne soustrait pas l’État à sa responsabilité. Au contraire, l’État doit faire figure d’exemple dans la coopération internationale. 

Le 5 mai 2021, le gouvernement allemand a décidé d’augmenter l’objectif de réduction des gaz à effet de serre de -65% à la place des 55% prévus initialement pour 2030. 

Romane Noubel