Entretien avec Carina Oliveira et Larissa Coutinho sur les affaires environnementales brésiliennes

Entretien avec Carina Oliveira, Professeure de droit international et droit de l’environnement à l’Université de Brasília et codirectrice du Centre de Recherche en Droit, Ressources Naturelles et durabilité (GERN-UnB), et Larissa Coutinho, doctorante à l’Université de Brasilia. 

Par Romane Noubel, le 14 juin 2021

Quelle est la situation des affaires environnementales au Brésil ? 

Les affaires environnementales sont nombreuses au Brésil. On observe une participation plus importante des acteurs concernés.  En 2020, pour la première fois, la Cour suprême a proposé une audience publique sur le thème du changement climatique pour écouter des experts sur le sujet. Toutefois ces affaires sont encore très embryonnaires : il n’est pas possible de connaître leur issue et la position que vont prendre les tribunaux. 

Depuis 2018, on observe une régression et un affaiblissement de la politique environnementale brésilienne suite à l’élection du Président Jair Bolsonaro. En 2019, de nombreux comités ont été suspendus. En 2020, des résolutions protectrices de l’environnement prises par le CONAMA (Conseil National de l’Environnement) ont été réformées. La Cour suprême a été amenée à statuer sur la constitutionnalité du décret révoquant les résolutions du CONAMA et a pris une décision provisoire le déclarant inconstitutionnel. D’autres mesures ont été prises par le gouvernement tel que l’utilisation de 229 nouveaux pesticides composés de substances interdites internationalement, faisant abstraction du principe de précaution. De plus, des partis politiques ont saisi la Cour suprême pour l’appeler à se prononcer sur le blocage du Fonds National du Changement Climatique. Ce fonds aurait pu être utilisé pour lutter contre les feux responsables de la déforestation de l’Amazonie en 2020. 

En raison de cet affaiblissement, le pouvoir judiciaire est saisi par les acteurs compétents comme dernier recours afin que la régression politique environnementale soit le moins préjudiciable pour le pays. On peut observer une multiplication d’affaires pour défendre la biodiversité. De plus, devant le pouvoir judiciaire, il y a une utilisation du principe de non-régression. Les deux cours principales du pays, la Cour constitutionnelle (STF) et la Cour Supérieur de Justice (STJ), acceptent ce principe bien qu’il ne s’agisse pas d’un principe écrit dans la législation brésilienne. En effet, c’est un principe qui émerge dans la jurisprudence. Cela permet de limiter la régression de la protection environnementale résultant des actes pris par le pouvoir exécutif ou législatif. 

En septembre 2019, il y a eu une marée noire sur les côtes du Brésil sur 3 000 km: que devient cette affaire ? 

Le responsable du dommage n’est pas encore connu. La marée noire pourrait provenir d’une zone située à plus ou moins 700 km des côtes brésiliennes. Ce qui veut dire que la cause du dommage peut venir d’un autre pays ou de l’Haute Mer.  La marée a causé des dommages aux pêcheurs, aux touristes, à l’environnement : 55 aires marines protégées ont été affectées. 

Quels sont les buts de ces actions en cours et envers qui sont-elles dirigées si on ne connaît pas le pollueur ? 

Les actions sont actuellement dirigées vers les institutions publiques brésiliennes. Elles poursuivent deux objectifs : obtenir la réparation du dommage, mais aussi les tenir responsables de la mauvaise mise en œuvre des mesures de prévention. Cherchant la réparation des dommages, le bureau du Procureur fédéral a intenté une action en justice contre le gouvernement et contre IBAMA, l’agence brésilienne de l’environnement, afin que plus de mesures environnementales protectrices soient adoptées. Deux actions de groupes ont aussi été intentées dans les États de Sergipe et de Bahia. 

2021 a vu la naissance d’une nouvelle affaire concernant la forêt amazonienne.  Quels sont les enjeux de cette affaire ? 

Le Ministère public fédéral a poursuivi en justice M. Dauro Parreira de Rezende en avril dernier. L’action est déposée devant le 7ème Tribunal fédéral de l’environnement et de l’agriculture de l’État d’Amazonie. 

Le défendeur est mis en cause au regard de sa responsabilité dans la déforestation non autorisée de 2 488,56 hectares de forêt amazonienne, situés sur le municipalité de Boca do Acre et sur un territoire des communautés traditionnelles. Selon le Ministère public fédéral, la déforestation a causé des dommages environnementaux, a contribué au déséquilibre climatique et a violé les droits des communautés traditionnelles. Le ministère public demande la réparation des dommages et pour cela propose une méthode de calcul pour estimer la valeur de l’indemnité. Cette méthode provient de l’agence gouvernementale Instituto de Pesquisas da Amazônia  (IPAM). 

C’est la première fois que les tribunaux vont être amenés à se prononcer sur la valeur de la biodiversité détruite et la première fois également qu’ils vont être conduits à juger la méthode de calcul proposée par les requérants. Il va être aussi question de savoir si la perte des services écosystémiques résultant de la déforestation sera prise en compte dans le calcul de l’indemnité.